Céret : à crétins, crétins et demi ! par Michèle Breut
Le lieu est suffisamment maudit pour justifier ce choix parmi les enclaves de la tradition de torture ininterrompue sur bovins, les organisateurs des trois corridas de Céret se rendant coupables d’une perversion notoire à l’égard de l’enfance : « Arnaud Andreu, L’ADAC, offre aux moins de 16 ans deux cents places gratuites pour chaque novillada (elles auront lieu les samedis et dimanches matin à 11 h). Les jeunes intéressés peuvent venir retirer leur ticket au siège de l’association […] (1) ».
Le récit de l’action des militants est sur notre site, film à l’appui. Mais c’est ainsi que le Midi Libre, dans l’article du 12 juillet 2010 signé Thierry Bouldoire, donne sa version de l’événement : « Juste avant le paseo, une dizaine de militants anti-corrida tentèrent de s’enchaîner au centre des arènes. L’hapenning (2) fit long feu. Trente secondes plus tard, ils étaient expulsés du ruedo (3). »
Expulsés par qui ? Par des représentants de l’ordre de la République française ? Non, par des valets de piste de l’enclave, nuance : par des « areneros » d’après les spécialistes : « Ni une ni deux, les areneros catalans, soudés comme un pack de rugby, expulsent du temple ce ramassis de crétins en moins de temps qu’il ne m’en faut pour vous l’écrire. Un ramassis de crétins traîné dehors un peu comme un vulgaire sac à merde (4). »
Deux commentaires, postés par des témoins sur le site du Midi Libre, révèlent que la violence exercée sur les manifestants a choqué même certains aficionados : 12/07/2010 à 17 h 54 – Jean du 13 : « Si les anti corrida me sortent par les yeux je déplore néanmoins la façon dont les militants ont été agressés hier. Des femmes traînées par les cheveux et frappées à coups de pieds une fois sorties du ruedo … » 13/07/2010 à 13 h 47 – Lyliane66 « D’accord avec jean, j’ai aussi été choquée de voir comment des idiots s’en sont pris aux militants (5). »
La conception des promoteurs de la corrida selon laquelle des militants anticorrida sont un « ramassis de crétins » est indiscutable si tant est que leur langage est asémantique : « on a beau écrire, à Céret, les toros ont toujours le dernier mot (6) » pour signifier, en langage sémantique (7), que 6 bovins ont été torturés à mort ; « six quintaux de sauvagerie qui renversèrent le cheval du terme d’un tercio de pique musclé » pour : un taureau tellement violenté à l’arme blanche que, fou de panique et de douleur, il tente de se défendre contre celui d’où proviennent les coups de pique.
Le « ramassis de crétins » n’a pas accès au même plaisir que les spectateurs : « Les arènes quasiment pleines grondaient de plaisir, le callejon bruissait du sacre avancé (8). »
Ce jour-là, avant le plaisir des sadiques, des militants humanistes répondaient à la définition du courage social que Bergson définissait ainsi :
« Au-dessus des devoirs bien nets [de la morale sociale] nous aimons à nous en représenter d’autres plutôt flous, qui s’y superposeraient. Dévouement, don de soi, esprit de sacrifice, charité, tels sont les mots que nous prononçons quand nous pensons à eux. Mais pensons-nous alors, le plus souvent, à autre chose qu’à des mots ? Non, sans doute, et nous nous en rendons bien compte. Seulement il suffit, disons-nous, que la formule soit là ; elle prendra tout son sens, l’idée qui viendra la remplir se fera agissante, quand une occasion se présentera. Il est vrai que pour beaucoup l’occasion ne se présentera pas, ou l’action sera remise à plus tard. Chez certains, la volonté s’ébranlera bien un peu, mais si peu que la secousse reçue pourra en effet être attribuée à la seule dilatation du devoir social, élargi et affaibli en devoir humain. Mais que les formules se remplissent de matière et que la matière s’anime : c’est une vie nouvelle qui s’annonce ; nous comprenons, nous sentons qu’une autre morale survient » (Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion (9), PUF, 1932).
1.L’Indépendant, 2010-07-02, Les matadors de Céret de toros ont débuté la saison en beauté
2. Sic pour « happening ». Il est vrai que leur espagnol est bien meilleur : rudeo, toro manso…
3 Le Midi Libre 2010/07/12/ PERPIGNAN, Les hommes triomphent aussi à Ceret de Toros
4 http://camposyruedos2.blogspot.com/2010/07/campeones.html
5 Le Midi Libre 2010/07/12/ PERPIGNAN, Les hommes triomphent aussi à Ceret de Toros
6. « On a beau écrire, à Céret, les toros ont toujours le dernier mot », L’Indépendant, 2010-07-12, Les hommes triomphent aussi à Céret de toros
7. [P. oppos. à asémantique] Phrase sémantique. Phrase qui a un sens, qui est acceptable du point de vue du sens. Une phrase qui n’est pas sémantique est dite asémantique (Rey Sémiot, 1979). http://www.cnrtl.fr/definition/sémantique
8. Midi Libre, 2010/07/12, article cité.
9. « Bergson peut ainsi opposer à l’attitude “close” de la simple obéissance, une autre attitude qui est celle de “l’âme ouverte” : si l’on disait qu’elle embrasse l’humanité entière, on n’irait pas trop loin, on n’irait même pas assez loin, puisque son amour s’étendra aux animaux, aux plantes, à toute la nature », www.site-magister.com