Arènes de Lutèce : pitreries inutiles ou entraînements macabres ?
Les réceptions et autres évènements de cette sorte qui ponctuent la vie des hommes sont des moments d’échanges toujours instructifs. Chacun s’y rend avec ce qu’il est. On y rencontre le discret qui peine à aborder ses semblables et sourit timidement, son verre à la main, désireux de bavarder autant que de se faire oublier. A l’opposé, de ce sujet qui vit le moment tiraillé entre deux options contradictoires, se trouve le bout-en train qui n’a de cesse de se faire remarquer et de parler haut. Il a autour de lui une foule de convives qui n’attendent que sa prochaine sortie pour s’esclaffer et c’est à qui rivalisera d’humour et de finesse à le relancer pour qu’il n’y ait pas de temps mort. Çà et là, chacun discute selon ses affinités et au gré des nouvelles rencontres. Bref, il s’agit d’un moment social dont l’homme, cet « animal politique (1)», est particulièrement friand.
Et puis, l’on rencontre parfois un quidam avec lequel l’on n’a pas envie de frayer. Arrogant, prétentieux et pontifiant, son domaine d’activité révulse la plupart. Personne ne l’apprécie, tout le monde l’évite, mais chacun s’impose le silence. On veut être tranquille et que la soirée se passe bien. Il est ici on ne sait trop comment. En réalité, plus personne ne se pose vraiment la question. Il n’en a cure. Il est là et il s’impose.
Ainsi la corrida, que près de 9 Français sur 10 veulent voir partir aux oubliettes s’est également imposée en France aux termes de 100 ans de troubles à l’ordre public : arrestations, reconduites de matadors espagnols à la frontière et autres interventions de la maréchaussée ont émaillé son parcours sur le territoire national.
Puis, par dérogation, la corrida est parvenue à sévir dans quelques dizaines de communes du sud au moyen d’une exemption de poursuites pénales accordée par le législateur. Il en est ainsi des enfants qui se roulent par terre en hurlant dans les supermarchés parce que leur mère refuse d’acheter le paquet de bonbons convoité. De guerre lasse, bien souvent, le parent cède. Il sait qu’il ne le devrait pas, mais il est fatigué et puis ces braillements gênent tout le monde.
En 2011, le CRAC Europe est intervenu aux Arènes de Lutèce à la suite de démonstrations et d’entraînements de corrida organisés par l’association Culturaficion qui se veut un club taurin parisien (2). Ainsi, bien malgré nous, un membre de cette sympathique association s’est vu embarqué par les forces de l’ordre au motif de port d’armes prohibé. Il est vrai que piques, banderilles et autres épées sont certes des armes blanches mais sans doute que les fonctionnaires, ce jour-là, se sont montrés particulièrement zélés et pointilleux. Cependant, Culturaficion ne désarme pas. Tous les dimanches, c’est avec un soin particulier et une constance méritoire qu’il dispense ses formations et autres démonstrations de tauromachie espagnole à ses adhérents attentifs et soucieux de bien faire. En effet, à la suite de ces leçons, pourquoi pas se rendre dans le sud en des lieux où
sera possible – sans craindre la prison – de retrouver dans l’arène un taureau « pour de vrai » ? A Paris, ce serait plus compliqué avec la Justice (3).
Pour autant, ces simulacres de corridas ne sont pas du goût de tout le monde et beaucoup s’en offusquent. Une manifestation a eu lieu et la mairie du 5eme arrondissement de Paris a fait savoir, par le biais des réseaux sociaux, sa désapprobation vis-à-vis de ces pratiques mais également son impuissance à les faire cesser. Bref, personne n’en veut, tout le monde se demande comment c’est possible à Paris et pourquoi on en est arrivé là. Eux, n’en ont cure, ils sont là et ils s’imposent.
CM
1- Aristote, Les Politiques, trad. P.Pellegrin, GF-Flammarion, Paris, 1990, pp.90-92.
2- Cet oxymore sera analysé ultérieurement et fera l’objet d’un autre article.
3- Code pénal – Art. 521-1 – Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. […]
Lorsque les faits ont entraîné la mort de l’animal, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.
Est considéré comme circonstance aggravante du délit mentionné au premier alinéa le fait de le commettre en présence d’un mineur.