La fraude fiscale à la TVA est-elle devenue une pratique généralisée chez les organisateurs de corrida ? On peut se poser la question. En effet, après la tentative d’escroquerie montée par Simon Casas l’an dernier à Nîmes, des documents officiels démontrent que les frères Jalabert ont procédé de façon identique pour les arènes d’Arles sur deux années consécutives.

Le précédent des arènes de Nîmes

Le principe de la fraude est simple : en arguant du fait que la corrida est inscrite depuis 2011 à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel (PCI) de la France, les organisateurs estiment que ce qu’ils doivent au fisc est calculé sur la base du taux de TVA réduit applicable aux activités culturelles (5,5% en 2011, 7% en 2012, 5,5% en 2013) et non du taux normal (19,6%). Comme ils ne répercutent pas cette baisse hypothétique sur les prix de vente TTC des billets au public, ils font un profit supplémentaire qui correspond à la différence.

Autrement dit, ils escroquent à la fois les spectateurs et le fisc. Car, de fait, que la corrida soit ou non au PCI ne modifie en rien son régime fiscal. Lorsque Simon Casas, organisateur des corridas nîmoises, a le premier eu recours à cette fraude lors de la présentation de ses comptes 2011 au Conseil municipal de Nîmes fin 2012, le CRAC Europe avait aussitôt saisi les services fiscaux qui avaient répondu dans un courrier sans aucune ambiguïté :

« La fourniture de l’ensemble des éléments nécessaires à la réalisation des corridas (toreros et membres de la troupe, taureaux, chevaux, transports…) constitue une prestation unique relevant du taux normal de la TVA. Ce taux s’applique donc à la totalité de la prestation y compris à la fourniture des taureaux qui en est une composante et ne saurait dans ce cas bénéficier du taux réduit ». De plus, ”aucune modification législative du taux de TVA applicable n’est d’ailleurs intervenue depuis l’inscription de la corrida au PCI français“.

Or, pour 2011, Simon Casas a appliqué un taux de TVA de 5,5% au lieu de 19,6%. Le différentiel s’élève à 764 000 euros non versés au fisc, qui tente depuis de récupérer son dû, sans parler des pénalités de retard. Il faut croire que c’est beaucoup plus difficile avec quelqu’un comme lui que comme vous et moi.

Ensuite, celles d’Arles

La principale association anti-corrida des Bouches-du-Rhône est la BACM (brigade anti-corrida Marseille), présidée par Mario Valenza, également délégué du CRAC Europe. En 2010, il a demandé au Conseil général une copie des marchés signés avec l’entreprise Jalabert Frères. Comme il ne recevait rien malgré ses demandes répétées, il a saisi la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) et a obtenu gain de cause.

Il a ainsi eu la preuve que le Conseil général pré-achetait pour 63 255 euros TTC de places, dans un marché négocié sans publicité préalable et sans mise en concurrence. Autrement dit, une subvention déguisée. Jusque-là, aucune fraude fiscale, puisque la TVA était de 19,6% (l’inscription au PCI n’est intervenue que courant 2011).

Début 2011, Mario Valenza réitère sa demande et cette fois, il obtient les documents sans difficulté. Il apprend donc qu’un marché similaire a été signé entre Jalabert et le Conseil général pour un montant de 64 472 euros TTC, avec toujours une TVA à 19,6%.

En 2012, le montant TTC reste identique au centime près, à 64 472 euros. Les billets sont donc bien toujours vendus au même prix public. Sauf que la TVA annoncée est passée à 7%. La différence entre 19,6% et 7% va directement dans la poche de Jalabert sur le dos du Conseil général. Ce dernier n’a pas l’air de s’en formaliser puisque l’acte d’engagement est signé et la facture acquittée sans sourciller.

Petite remarque sémantique : ce n’est pas le mot “corrida” qui apparaît sur les documents mais “feria”, c’est-à-dire fête. Il s’agit d’un euphémisme traditionnellement employé en Espagne pour parler des corridas, mais qui prend d’autant plus d’intérêt en France puisqu’une fête, ça semble bien entendu beaucoup plus culturel à des yeux non avertis que “course de taureaux avec mise à mort”.

En 2013, le taux réduit ayant été ramené à 5,5%, c’est lui qui va être mentionné sur les factures payées par le Conseil général. Toujours en toute illégalité vis-à-vis du fisc qui a pourtant largement fait savoir que la seule TVA applicable à la corrida est de 19,6%.

Mario Valenza a donc saisi la Direction générale des finances publiques de Marseille. Il a eu confirmation qu’une enquête venait de débuter. Elle dira si le même taux frauduleux a été également appliqué à la billetterie générale, ce qui confirmerait qu’en plus du fisc, ce sont les spectateurs qui ont été escroqués (puisqu’en cas de TVA plus basse, les prix des billets TTC auraient également dû être plus bas). Cela dit, on ne va pas les plaindre, c’est leur problème.

L’enquête révélera peut-être également comment il est possible que des actes d’engagement signés par la Direction des Affaires Juridiques du Conseil Général puissent être entachés d’une irrégularité aussi flagrante qu’un taux de TVA frauduleux. Incompétence ou complicité ?

Et les autres ?

Le CRAC Europe s’est associé avec la BACM pour suivre ces dossiers et les étendre le plus largement possible. En effet, il est permis de penser que bien d’autres places taurines ont eu recours à la même fraude. Aussi, il est envisagé de demander des enquêtes fiscales analogues partout où elles se trouvent, à commencer par celles dites de première catégorie (Mont-de-Marsan, Béziers, Dax, Bayonne, Vic-Fezensac).

Nous ne lâcherons rien.

Photo de Simon Casas : émission C dans l’air face à Jean-Pierre Garrigues

Cet article a été publié originellement sur le blog d’Anna Galore

Partage

Shares