André Viard, le porte-parole du monde de la corrida en France, a franchi à nouveau les limites du tolérable, en comparant les actions anticorrida organisées par les associations avec les programmes antisémites du IIIe Reich.

Le terme hispanique “afición” désigne communément la passion pour la corrida, mais peut également désigner la communauté des aficionados, des passionnés de corrida.

Nous n’allons pas faire référence ici aux propos d’un aficionado quelconque sur son journal Facebook.

Non, nous allons commenter ceux de leur porte-parole André Viard, rédacteur du magazine et du website Terres Taurines, président-fondateur de l’Observatoire National des Cultures Taurines (ONCT), association dédiée depuis 2008 au lobbying tauromachique, et qui oeuvre en étroite collaboration avec l’Union des Villes Taurines Françaises (UVTF).

C’est lui qui se targue d’avoir fait inscrire la corrida à l’inventaire du patrimoine immatériel français, inscription opaque et frauduleuse, comme nous l’avions pointé ici ou , et dont le dernier livre de l’ex-ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, libéré de ses devoirs, nous confirme sans circonlocutions le caractère antidémocratique.

On a coutume de lire sous la plume de Monsieur Viard les dérapages les plus invraisemblables, lorsqu’il sent en péril l’activité dont il vit indirectement. Nous lui avions déjà décerné la Palme Godwin et pointé sa compulsion à la comparaison génocidaire.

Mais son “éditaurial” du 9 décembre dernier, intitulé “Le syndrome de l’étoile jaune“, franchit le mur du çon avec une puissance inégalée. En voici le lien, il faut le lire dans son intégralité.

Il fait tout simplement le parallèle entre les programmes antisémites du IIIe Reich et les opérations anticorrida organisées par les associations.

C’est-à-dire entre les millions de morts de la Solution Finale et les actions de protestation menées par les opposants à la corrida.

M Viard rappelle que “le 1er septembre 1941, le port de l’étoile jaune fut instauré par un décret signé par Reinhard Heydrich“. Faut-il rappeler aussi qu’Heydrich avait été missionné un mois plus tôt par Göring pour mettre en place une “solution finale du problème juif” ?

M Viard martèle que les organisations d’opposition à la corrida relèvent de “mouvements xénophobes et violents“, de “la xénophobie la plus abjecte qu’on ne pensait pas voir renaître“, de “xénophobes radicaux du terrorisme animaliste“…

Élucubrations d’autant plus à côté de la plaque que nombre de militants, ainsi que le plus souvent les responsables des associations anticorrida, sont et ont été des femmes et des hommes du Sud, vivant en terres taurines !

Et la violence des anticorrida qu’il brandit à tout bout de phrase n’est quant à elle qu’un leitmotiv convenu. Certes, les passionnés de boucherie tauromachique peuvent faire l’objet de violences verbales ou écrites, critiquables voire desservant la cause antitaurine. Mais elles n’arrivent pas à la cheville de la violence physique des toreros envers les taureaux, bien sûr, mais également de celle des supporters tauromachiques envers les manifestants anticorrida.

Aucune action militante n’est épargnée par la vindicte décalée de M Viard, même celles qui se contentent d’attirer l’attention sur “les entreprises ‘coupables’ d’associer, fusse de manière minime, leur image à celle de la corrida” ou les “tentatives de boycot de livres, de revues“.

Outre ce décalage inconcevable dans l’échelle de la violence, une autre différence fondamentale rend ce parallèle encore plus absurde et scandaleux. L’antisémitisme se définit par la haine de personnes pour ce qu’elles *sont*. Alors que si des opposants à la corrida peuvent quant à eux être hostiles à certaines personnes, c’est en raison des *pratiques* qu’elles soutiennent.

Cette référence aux nazis et à la persécution antisémite a bien sûr profondément choqué.

Et elle choquerait encore plus les intellectuels d’origine juive qui ont vécu ou dont la famille a vécu le IIIe Reich, et qui se sentent, ou se sont sentis de leur vivant, concernés par le sort fait aux animaux. Ainsi des philosophes, de Max Horkheimer à Peter Singer en passant par Theodor Adorno, Jacques Derrida, ou par Elisabeth de Fontenay, de mère juive. Des écrivains, d’Isaac Bashevis Singer à Jonathan Safran Foer en passant par Vassili Grossman, Elias Canetti, Romain Gary ou Primo Levi. Ou des anthropologues comme Claude Lévi-Strauss.

Sans parler bien sûr des militants de la cause animale d’origine juive, certains ayant réagi, d’ailleurs sans nécessairement perdre l’humour (“Pour André Viard, ça ne gaze plus“, lit-on par exemple ici).

L’avocat Arno Klarsfeld, qui a pris position contre la corrida, s’est aussitôt indigné de ce parallèle.

Résultat : André Viard placardait sur son website dès le lendemain un billet intitulé “Le mononopole des lamentations“, titre renvoyant élégamment on l’aura compris au Livre, et surtout au Mur ainsi désignés. Il s’y étonne que l’avocat de “la cause sémite” prenne parti pour les “délinquants” (les militants anticorrida dans le lexique de l’ONCT), car “son fond de commerce est au contraire celui des victimes“, et enchaîne “il est donc amusant de voir Arno Klarsfeld s’indigner du fait que l’on puisse comparer les agressions faites aux aficionados à celles dont furent victimes ses corréligionnaires allemands“.

A la décharge publique de M Viard, constatons là comme ailleurs sa foncière inculture : la politique du IIIe Reich ne visait pas une religion, mais ce qu’elle concevait comme une “race”.

Certes, Arno Klarsfeld a pu prendre au plan politique ou géopolitique des positions contestables. Mais si c’était, disons, Rony Brauman qui avait blâmé le parallèle du président de l’ONCT, nul doute que ce dernier eût alors en réaction placardé un gloubi-boulga furieusement pro-sioniste.

Car les opinions de M Viard se résument à prendre le contre-pied de ceux qui osent remettre en cause la corrida.

Dans son article consacré à cette affaire, la FLAC rappelle à juste titre l’incroyable billet qu’avait écrit André Viard sur Simone Veil après sa prise de position défavorable à la corrida en 2011. A cause de sa loi sur l’IVG, écrivait-il, “ce sont 7 millions et demi d’être humains en puissance qui ont été privés du droit d’exister“, et d’enchaîner “Les chiffres de ce -inscrivez ici le mot de votre choix- perpétré au nom de principes dont il ne s’agit pas ici de débattre, madame Weill les connaît bien, ce qui aurait dû l’inciter à plus de décence : peut-on justifier l’avortement des humains et condamner la mort du toro ?

A quel autre mot le “mot de votre choix” pourrait-il renvoyer, sinon au mot “génocide” ?

M Viard doit savoir que le génocide juif a laissé des traces terribles dans l’histoire personnelle et familiale de Simone Veil.

Mais le sait-il ? De même, est-ce pour laisser entendre que Mme Veil est une mauvaise Française que dans cet article qui pourtant lui est consacré, il écrit à quatre reprises “Weill” (même pas “Weil”, ce qui aurait pu s’excuser par l’homonymie avec la philosophe) ? Ou est-ce par inculture ? M Viard est certes familier des fautes d’orthographe (on aura pu le vérifier dans les extraits sus-cités et ses “boycot” ou ses “fond de commerce“), mais sous la plume de ce personnage, la question se pose…

Le 11 décembre, l’affaire prenait de l’ampleur, une dépêche de l’AFP pointant cette comparaison entre opposants à la corrida et nazis, reprise par Le Parisien ou par Sud-Ouest.

Du coup M Viard y allait d’un nouvel éditaurial où il s’embrouillait copieusement les banderilles, s’offusquant qu’on ait pu penser à mal tout en persistant dans son parallèle, attaquant bille en tête par “je n’ai ni dit ni écrit cela, raison pour laquelle j’attaquerai en diffamation quiconque le prétendra“, et concluant par un solennel “vouloir donner à mes propos toute interprétation différente relève de la diffamation et sera poursuivie comme telle“.

Cela fait des années que notre aficionado en chef passe son temps à menacer ses contradicteurs de diffamation. On attend toujours qu’il passe à l’acte. Sans doute a-t-il dans son entourage quelques juristes qui lui font quand même comprendre que, vu la teneur régulière de ses éditauriaux, il se planterait une épée dans le pied.

Son billet du 9 décembre terminait par une péroraison comminatoire d’un autre ton : “[…] que les xénophobes radicaux du terrorisme animaliste [comprendre : “les opposants à la corrida”], après avoir mesuré notre patience, se préparent à affronter notre colère : ils savent où nous trouver, mais nous savons aussi.

A lire André Viard et ses sempiternelles menaces, on pense inévitablement au Raoul Volfoni (Bernard Blier) des Tontons flingueurs, et son impérissable “J’vais lui montrer qui c’est Raoul !“. On connaît la suite.

Après avoir pris connaissance de la prose du porte-parole du mundillo français, un ami pourtant extérieur à la lutte anticorrida conclut ses commentaires par “André Viard est un con”. Je me garderai de reprendre publiquement une telle conclusion. Mais je fus frappé par le ton de sa remarque, sans haine ni agressivité, comme le simple constat d’une triste évidence.

Et ceci m’amena à m’interroger sur un point de doctrine juridique.

Quelqu’un qui écrirait cette phrase pourrait-il se voir opposer l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ?

A vrai dire, après avoir rendu hommage à Michel Audiard, c’est en me référant à Frédéric Dard que je pencherai pour une réponse négative.
Car s’agissant de M Viard, ce n’est pas une injure. C’est un diagnostic.

Partage

Shares