Le chanteur du groupe Shaka Ponk affirme sa position anticorrida
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Vidéo d’origine Frah de Shaka Ponk: ici sur insta et ici sur fbk
« La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toutes réflexions pour ne pas offenser les imbéciles. » Ces mots de Dostoïevski résonnent singulièrement suite à la vidéo postée par le chanteur du groupe Shaka Ponk qui clame haut et fort et sans ambiguïté aucune son aversion pour la corrida. Il s’en est immédiatement suivi une salve de « hourra ! » sur les réseaux sociaux et de gesticulations outrées de la part du mundillo1. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un artiste laisse apparaitre son sentiment pour le moins dégouté de la tauromachie espagnole.
Dès son apparition sur notre sol, la corrida a soulevé l’indignation. Les artistes ne sont pas demeurés en reste et nombreux sont ceux qui se sont positionnés pour la dénoncer avec force au moyen d’un langage « fleuri ». Le fait n’est donc pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la réaction outrancière de ses adeptes. Corentin Carpentier – condamné définitivement par la justice pour des coups portés sur des militants enchainés à terre lors des événements de Rodilhan
le 8 octobre 2011 – a créé une pétition visant à interdire Shaka Ponk de se produire dans l’amphithéâtre de Nîmes le 14 juin prochain. Pourquoi ?
Ce phénomène peut en partie – mais en partie seulement – s’expliquer par le contexte sociétal où désormais, à la fois grâce aux connaissances scientifiques et à l’évolution des mentalités, les animaux sont reconnus dans leur sensibilité. Cela place leurs tourmenteurs dans une situation médiatique délicate, propice à une réaction défensive surdimensionnée. Cette crise de nerfs de l’aficion2 s’explique également par un changement du mode et du contexte d’expression. Jusqu’alors, si des artistes comme Francis Cabrel ou encore Johnny Hallyday n’ont pas fait mystère de leur opposition à la corrida ont chanté en toute quiétude dans l’amphithéâtre nîmois, jamais ils n’ont fait de déclaration fracassante sur le sujet et ce dans une ville dite « taurine ». Or, ce qui se joue ici, c’est une question de territorialité. Les aficionados se considèrent « chez eux ».
Les villes « taurines », sanctuarisées à la faveur du dieu de la corrida, seraient ainsi exclues du débat public et défendues de toute critique la concernant. Or, ce fantasme ne tient pas debout puisque cela suppose que toutes les personnes des régions concernées seraient favorables à cette forme de tauromachie et s’y reconnaitraient. Nous nous trouvons dans le même mensonge que celui qui prétend que chasseurs et aficionados représentent « la ruralité ». Dans le cas qui nous occupe, c’est toute la population nîmoise qui se trouve prise en otage.
D’autre part, souvenons-nous de la piteuse tentative d’inscription de la tauromachie espagnole à l’inventaire du patrimoine culturel et immatériel français au début des
années 2010 – soldée par un échec, rappelons-le. Comment justifier d’une volonté d’inscrire pleinement dans le patrimoine français une pratique, qu’en même temps, on circonscrit sur une portion du territoire d’où l’on tente d’exclure ses propres concitoyens qui s’y opposent ? Il y a là un paradoxe qui n’est pas qu’apparent.
Il demeure donc que Shaka Ponk est tout à fait légitime à se produire dans l’amphithéâtre de Nîmes et le nombre de places vendues à ce jour en témoigne : le spectacle est complet. Du reste, soulignons que le ministère de la Culture a interdit aux organisateurs de corridas d’appliquer un taux de TVA à 5,5% – la rejetant ainsi hors du champ de la prestation artistique – alors que le groupe Shaka Ponk est, quant à lui, incontestablement établi dans sa dimension d’artiste.
1 Mundillo : mot espagnol qui désigne le monde de la corrida.
2 Ensemble des individus qui aiment la corrida et y assistent régulièrement ou non.
CM