La saison 2014 des corridas s’ouvrait dimanche 16 février à Magescq dans les Landes. Les manifestations anticorrida aussi. Pour donner le coup d’envoi, il s’est agi, de notre côté, d’une action citoyenne, c’est-à-dire lancée par des particuliers sans aucun soutien associatif pour l’organiser. Je m’exprime donc dans ce qui suit à titre personnel et non en tant que représentant du CRAC Europe.

Les actions citoyennes, un cauchemar pour les autorités

Dans les jours qui ont précédé, différents agents du SDIG (ex-RG) ont appelé leurs contacts habituels pour tenter d’avoir des infos sur la mobilisation prévue et le type d’action envisagé. C’est ainsi que Jean-Pierre Garrigues (président du CRAC Europe), Carole Saldain (déléguée du CRAC Europe dans les Pyrénées Atlantiques), Laurent Goulefer (délégué du CRAC Europe pour la Gironde) et Mario Valenza (BAC Marseille) ont été sollicités… en vain. Car même s’ils l’avaient voulu, ils n’auraient rien pu leur dire de concret puisque de telles actions se montent hors de tout encadrement.

En fait, même les initiateurs des événements Facebook à l’origine de ces manifestations n’ont aucune idée jusqu’à la dernière minute de la mobilisation réelle qu’ils obtiendront sur le terrain et de la façon dont les choses s’y passeront, puisqu’il n’y a aucun chef pour encadrer quoi que ce soit.

C’est bien ce qui met les préfets et le ministère de l’Intérieur dans une position très désagréable quant aux moyens à déployer sur place pour assurer la sécurité des événements concernés.

Si trois ou quatre cents individus indépendants disent sur Facebook qu’ils viendront pour s’opposer à une corrida, combien de gendarmes faudra-t-il déployer pour les contrôler ? Personne ne peut le dire. Qui supervisera les manifestants pour éviter les dérapages ? Personne. Combien de kamikazes prêts à tout seront-ils présents dans les rangs des manifestants ? Aucune idée. Qui sera responsable juridiquement en cas de gros pépin ? Uniquement la personne qui l’aura causé. Et aucun risque de fuite puisque personne ne sait rien.

Un vrai cauchemar pour les autorités.

La conséquence directe de la crispation des maires et des préfets

Pourquoi de telles manifestations se sont-elles mises à fleurir depuis quelques mois ? Parce qu’un nombre grandissant de militants anticorrida sont exaspérés par l’autisme des pouvoirs publics alors qu’une large majorité des Français souhaitent l’abolition de cette pratique barbare (entre 60 et 80% suivant les sondages) et qu’aucune association ne peut matériellement agir partout toute seule (il y a 130 corridas par an environ).

S’ajoute à cela que dans les 11 départements taurins, les maires et les préfets ont cru très malin d’accumuler les embûches pour empêcher les associations d’exprimer leur droit constitutionnel à manifester. C’est ce qu’on appelle se tirer une balle dans le pied.

L’une de ces embûches consiste, en effet, à exiger que les déclarations de manifestations soient signées par au moins trois responsables domiciliés dans le département où doit se tenir la manifestation. En ce qui concerne le CRAC Europe, qui est pourtant la principale organisation anticorrida en France tant par son nombre d’actions que son nombre d’adhérents, cela a conduit, de fait, à l’impossibilité de déposer une déclaration jugée recevable dans plusieurs départements taurins où nous n’avons pas de représentants.

C’est le cas pour Magescq, commune située dans les Landes. Et puisqu’il ne nous a pas été possible de faire une déclaration en bonne et due forme pour y être présents de façon organisée, des citoyens autonomes (et déterminés) ont décidé de venir montrer leur opposition sans rien demander à personne.

Sainte-Paranoïa, priez pour nous

Comme à chaque fois (même quand il s’agit de manifestations solidement organisées et déclarées), les habituelles rumeurs paranoïaques ont couru dans les heures qui ont précédé la tenue de la corrida – en fait, une novillada, c’est-à-dire des veaux suppliciés par des adolescents en lieu et place de taureaux suppliciés par des adultes.

Des gens ont dit, répété et amplifié que, catastrophe, la manifestation avait été interdite par le préfet. Vous parlez d’un scoop : puisque cette manifestation n’avait pas été déclarée, oui, bien sûr qu’elle n’était pas autorisée.

Le matin du jour J, nouveau coup de panique : des manifestants avaient été mis en garde à vue dès leur arrivée au village, dont l’un, tenez-vous bien, parce qu’il avait juste un sifflet sur lui. Renseignement pris, il avait surtout des fumigènes et une bombe lacrymogène, ce qui est en effet illégal pour un particulier qui se promène dans la rue. Un second avait été embarqué après un contrôle d’identité, car “en lien avec une enquête sur des incidents en 2013 autour d’une action anti-corrida à Rion-des-Landes“. Sinon, je vous le confirme, le port de sifflet sur la voie publique n’est toujours pas réprimé par le code pénal dans notre pays.

Et non, les flics n’arrachaient pas les téléphones portables des gens pour les fracasser par terre et ils ne confisquaient pas les appareils photo. S’ils l’avaient fait, c’est eux qui se seraient retrouvés devant un juge. Au passage, un certain nombre d’entre eux avaient des visages familiers. Normal, ils étaient aussi face à nous à Rion-des-Landes l’été dernier. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont fait de très nets progrès depuis dans le professionnalisme et la neutralité : ils sont tous restés d’un calme parfait et aucun d’entre eux n’a dégainé sa bombe lacrymo.

En fait, quand je suis arrivé, comme d’autres citoyens, accompagné de Mario à l’entrée de Magescq, il y avait certes des policiers partout mais l’ambiance était d’une tranquillité totale, à part quelques pics d’intensité.

La seule contrainte pour rejoindre le groupe de manifestants déjà formé, c’était d’accepter une fouille afin de vérifier que nous ne transportions rien d’interdit sur nous. Et personne n’a cassé mon portable ou pris mon appareil photo.

Magescq, 1900 habitants, 1800 places dans les arènes, 300 gendarmes mobilisés

Combien d’aficionados étaient-ils présents dans les arènes couvertes ? Si on en croit Sud-Ouest, c’était plein, donc 1800 personnes. Selon Le Monde, ils n’étaient qu’un millier. Et selon un gendarme sur place, à peine 250.

Combien de gendarmes face à nous ? 300 selon un gradé, chiffre confirmé par un agent du SDIG. Un policier nous a aussi parlé de deux hélicoptères. Des manifestants venus très tôt avec qui j’ai discuté m’ont dit en avoir vu un, suréquipé de caméras. Lorsque nous l’avons mentionné en fin de manif au monsieur du SDIG, il n’a pas démenti qu’ils étaient intervenus mais a suggéré qu’ils étaient peut-être là pour autre chose. Pas pour la circulation sur l’autoroute A10 qui borde Magescq, en tout cas : les six voies étaient quasiment désertes toute la journée dans ce secteur.

Combien de manifestants ? Plus de 150 selon la presse. Cela me semble correspondre à ce que j’ai pu voir.

Rien que ces chiffres font de notre présence un succès total : 300 gendarmes pour 150 manifestants, le tout pour protéger quelques centaines d’aficionados, la note pour l’Etat ou pour la commune va être douloureuse ! Il faut en effet compter un coût de 100 euros par gendarme sur ce genre de mission, auquel il faut ajouter, si les hélicoptères sont confirmés, quelques milliers d’euros de plus pour chaque heure de vol qu’ils ont pu effectuer. L’addition doit donc être comprise entre 30 000 et 40 000 euros, soit du même ordre de grandeur qu’à Rodilhan le 27 octobre 2013, sauf que nous étions cinq fois moins nombreux à Magescq.

Protéger quelques centaines d’aficionados avides d’assister à une torture sordide de ruminants va vite devenir prohibitif pour les autorités si le même déploiement de moyens se renouvelle tout au long de 2014 à chaque corrida. Et encore, dimanche à Magescq, tout s’est déroulé dans le calme – ils sont où, les violents ? dans les arènes, on ne le répétera jamais assez.

A propos de violence, que dire du nombre incroyable d’enfants qui ont assisté à ce spectacle obscène ? Les recommandations de l’ONU ne concernent visiblement pas les Landes…

Cela dit, les aficionados de Magescq sont à ce point viscéralement morbides qu’ils ont fait construire leur arène couverte en bordure de leur cimetière. Mais dimanche, les seuls à mourir étaient les six veaux torturés.

Rendre les corridas impossibles à maintenir

Tirons les conséquences de tout cela. Imaginons que des citoyens autonomes continuent à lancer systématiquement des événements Facebook pour chacune des corridas de 2014 où aucune action anticorrida n’est déjà prévue. Imaginons – et c’est très important – que des centaines, voire des milliers de personnes indiquent qu’elles y participeront, que ce soit vrai ou pas.

En effet, en raison de la nature même de ces actions citoyennes, personne ne pourra savoir à l’avance quelle sera la mobilisation réelle, pas même les initiateurs de chaque événement Facebook. Le fait que les gens aillent vraiment manifester ou que personne ne le fasse ne change rien au casse-tête que cela posera aux autorités.

Quel préfet prendra le risque de ne pas mettre suffisamment de gendarmes, y compris (surtout) dans les plus modestes des communes concernées, donc les plus fragiles, si 1000 ou 2000 personnes qui ne se réclament d’aucune association annoncent qu’elles comptent y aller pour empêcher une corrida ? Quel maire pourra justifier les conséquences financières de mobiliser des centaines de gendarmes pour protéger une poignée de spectateurs d’une barbarie que la majorité des Français rejettent ? Surtout que les autorités auront une solution beaucoup plus simple pour résoudre leur problème : annuler la corrida.

C’est ce qui est arrivé fin 2013 pour trois d’entre elles sans qu’aucun manifestant n’ait eu à se déplacer. Pourquoi ? Parce que, face à la mobilisation sur Facebook de centaines d’électrons libres aux propos très musclés, la gendarmerie a estimé qu’elle n’était pas à même d’assurer la sécurité des spectateurs et a donc demandé aux organisateurs de ces corridas de les annuler.

Si cette idée vous tente et que vous êtes sur Facebook… à vos souris !

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