Un témoignage, par Delphine Simon
Quand on est arrivés près des arènes, par petits groupes de deux, on est passés près du camion où vous attendiez, sans le savoir, votre massacre prochain. Alors je vous ai envoyé une pensée, « on va faire en sorte d’empêcher le massacre »…
Et puis on est rentrés, comme hors du temps, dans cette arène — malaise, je regardais les gens autour de moi et je me demandais, comment peuvent-ils venir là comme s’ils venaient au théâtre ? Ils riaient, se disaient bonjour, attendaient… Nous, nous savions qu’ils allaient être surpris. Alors ça nous donnait la force.
15 h 50, le coup de sifflet, on déploie les banderoles ; il leur a fallu moins de trois minutes pour intervenir, une dizaine de fous furieux qui nous ont sauté dessus, certains sont montés directement, d’autres tiraient d’en bas, donnaient des coups de balai, ils arrachaient, tiraient, hurlaient… Ce n’étaient pas des êtres humains que nous avions en face de nous, c’étaient des psychopathes.
Une fois les banderoles arrachées, ils se sont un peu apaisés, mais ils n’avaient pas encore vu ce qui se passait en bas. Nos amis de combat s’étaient enchaînés sur le sable de l’arène ; plus de 50 personnes criaient « Abolition ! Abolition ! » en levant le poing. J’ai essayé d’aller récupérer une banderole, mais un type m’a poussée dans l’escalier en me donnant un coup de pied et en me disant que ça suffisait ; son regard en disait long sur ce qu’il me ferait si j’essayais de remonter dans les gradins avec ma banderole… Ça ne servait à rien, j’ai lâché ma banderole, je suis descendue et j’ai sauté au milieu pour rejoindre mes amis, mes amis de combat. Je n’avais pas de chaîne, alors je me suis mise au milieu du cercle pour crier avec eux « Abolition ! Abolition ! La torture n’est pas notre culture ! ». De là où j’étais, je pouvais voir les visages déformés par la haine de ces gens qui tapaient sur les miens, qui arrachaient leurs vêtements, qui arrosaient avec le puissant jet d’eau de pacifiques militants enchaînés, sans défense.
Comment comprendre ces êtres dans les gradins qui éructaient leur violence et réclamaient notre mise à mort en baissant le pouce vers le sol ? Comment se sentir de la même espèce que ces gens-là ? Comment les considérer comme des humains ? Humains… ? Mais qu’importe, nous ne pensions qu’à vous qui attendiez, sans le savoir, votre dernière heure, dans ce camion, derrière les arènes. Pour vous, il fallait tenir. Si l’on tenait suffisamment longtemps, ils annuleraient…
Ils ont hurlé, frappé, ils ont tiré, ils ont déchiré, ils ont donné des coups de poing, des coups de pied, ils ont réussi à nous traîner hors de l’arène, un par un, parce que pour eux, ce qui comptait, ce n’était pas ce que nous faisions, ou pourquoi nous le faisions, mais que le « spectacle » puisse commencer.
Après qu’ils ont fini leur sale boulot, le premier, les portes se sont finalement fermées. La fin d’un espoir, la fin de notre espoir de vous sauver, hélas !
Après avoir repris mes esprits, ne sachant plus trop quoi faire, je me suis dirigée vers le camion, j’ai posé ma main sur la tôle, j’ai fermé les yeux, et je vous ai envoyé une pensée pour vous demander pardon d’avoir échoué, mais nous étions là, nous, l’espèce humaine, l’espèce… « humaine ». On sera là chaque fois. On ne lâchera pas tant qu’en France et dans le monde on pourra torturer des animaux juste pour le plaisir.
Alors je ne sais pas si vous nous avez entendus, si vous avez senti notre présence, je sais juste que ce matin, quand je me suis levée, comme beaucoup d’entre nous présents hier, oui, j’avais mal, au bras, au dos, à la tête, mais ce qui faisait le plus mal, c’était de devoir se réveiller dans un monde un peu moins beau. Sans vous.
Alors j’ai cherché vos noms sur Internet, sur les sites taurins : je voulais vous dédier notre action. Mais ils ne sont même pas cités, vos noms. Juste « 6 toritos de Dos Hermanas , « propriété » de Patrick Laugier ; c’est tout ce que nous saurons de vous, et que vous êtes morts sous les coups des apprentis tortionnaires.
Avant que nous repartions, nous avons attendu les derniers. Ceux d’entre nous qui étaient restés pour filmer la suite, ou prendre des photos. Une pensée pour notre ami qui nous a rejoints et qui n’a pu retenir ses larmes, parce qu’il a dû assister à la suite. Merci à lui. Merci à tous ceux qui étaient présents ce 8 octobre pour dénoncer la barbarie, et à tous ceux qui n’étaient pas présents mais qui luttent chaque jour pour qu’on arrête le massacre.
Vous, les six veaux sans nom, votre calvaire est terminé. Quand la corrida sera abolie, on vous enverra une pensée… À vous qui êtes tombés sous les coups des apprentis tortionnaires.
Et, pour l’heure, au nom de l’espèce humaine : pardon.
Delphine Simon
9 octobre 2011
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jeune veau tombé sous le coup des tortionnaires le 8 octobre à Rodilhan
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